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06/04/2020Théorie des contraintes : quels intérêts pour les PME ?
L’expérience de l’aéroport d’Abidjan
Nombreux sommes-nous à nous être posé la question de la justification des travaux d’agrandissement de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan lancés fin 2017, du fait de leur coût sensiblement élevé (26.6 millions d’euros), alors que l’extension envisagée ne prévoyait pas la construction d’une nouvelle piste d’atterrissage. Sur quoi se basaient alors les autorités pour justifier les projections de doublement de trafic sur cinq ans ? Comment espérer faire plus avec une seule piste d’atterrissage ?
Pour moi, adepte de la vulgarisation à grande échelle de la théorie des contraintes, les explications fournies lors d’un reportage télé par le chef de ce projet d’infrastructure sont rapidement venues lever tout doute. Ceux qui empruntent fréquemment des vols au départ de l’aérogare d’Abidjan auront remarqué le goulot d’étranglement que constitue la piste d’atterrissage. Les départs sont fréquemment retardés du fait d’atterrissage en instance.
Auparavant, même en l’absence d’atterrissages imminents, des délais significatifs étaient souvent causés par une longue file d’avions en attente de décollage.
Afin d’illustrer l’utilité des travaux réalisés, il convient de relater l’expérience passée des vols au départ d’Abidjan.
Faisons l’exercice de calculer le nombre maximum de décollages possibles à l’aéroport FHB au cours d’une heure qui ne voyait hypothétiquement aucun atterrissage. Pour rappel, tous les avions étaient stationnés sur une aire de parking à partir de laquelle ils rejoignaient la piste de décollage pratiquement à mi-chemin de celle-ci.
Considérons ici un alignement d’avions dont le premier rejoindrait la piste de décollage exactement à 9h00. Il parcourait la moitié de la piste, généralement dans le sens sud-nord pour se retrouver à l’extrémité nord du tarmac, pendant un trajet d’une durée hypothétique moyenne de 5 minutes. Passées ces 5 minutes, les moteurs de l’aéronef chauffés à bloc lui permettaient au sortir d’une rotation de 180 degrés de s’élancer et de prendre son envol côté sud au-dessus de l’océan atlantique pendant un laps de temps que nous estimons à 2 minutes. C’est alors seulement à cet instant, soit à 9h07 que le second appareil était autorisé à intégrer la piste. Selon nos estimations, il s’écoulait ainsi 7 minutes entre deux décollages. A ce rythme au bout d’une heure, soit 60 minutes, 9 avions au maximum (en arrondissant) pouvaient prendre le décollage.
Maintenant, étudions théoriquement l’impact de l’un des chantiers réalisés dans le cadre de l’extension de l’aéroport : la desserte de l’extrémité nord du tarmac directement à partir de l’aire de stationnement des avions. Du fait de ce taxiway parallèle à la piste, l’alignement ininterrompu des appareils en attente de décollage n’a plus lieu au milieu de la piste mais plutôt au point d’enclenchement du décollage. Toutes choses restant égales par ailleurs (hypothèse optimiste), les décollages devraient dorénavant se faire toutes les 2 minutes. Mais soyons un peu réalistes ! Arrêté en bout de piste en attente du départ, un avion doit maintenant prendre le temps de mettre ses moteurs à pleine puissance avant de s’élancer, alors que cette étape indispensable avait lieu dans le cas précédent pendant que l’appareil roulait et qu’il accomplissait sa rotation. En estimant que cette phase nouvelle prend 2 minutes auxquelles il faut rajouter les 2 minutes de décollage, nous aboutissons à un décollage toutes les 4 minutes. En une heure donc, la capacité théorique de décollage de l’aéroport serait passée à 15 avions, soit une augmentation de plus de 80% par rapport au cas précédent. Mais évidemment la réalité n’est pas aussi simple. L’augmentation de la capacité de décollage n’entraine pas mathématiquement une augmentation équivalente du nombre de passagers au départ. La capacité des comptoirs d’enregistrement des passagers tout comme celle d’autres services d’assistance au départ pourraient constituer d’autres goulots d’étranglement. Par ailleurs, même la résolution de toutes les contraintes au départ des passagers ne saurait avoir un effet automatique sur le nombre de personnes désireuses de quitter le sol ivoirien par les airs. Il va de soi que l’augmentation de la capacité d’atterrissage, donc du nombre de visiteurs, est également déterminante dans l’accroissement du nombre de passagers au départ. Pour ce faire, l’aéroport a misé également sur des modifications du parking afin d’accueillir de plus gros porteurs. Ainsi, en permettant à de plus gros avions d’atterrir, notre aérogare augmente sa capacité d’accueil de passagers et du fret à l’arrivée et en permettant aux avions de décoller plus rapidement, il augmente sa capacité de départ des passagers et du fret. Sachant que les revenus essentiels d’un aéroport (redevances passagers, taxe d’atterrissage, taxe de parking, frais de balisage…) sont dépendants du nombre de vols et du nombre de passagers, l’on comprend bien le potentiel de croissance que représentent les travaux d’agrandissement de l’aéroport FHB.
Ce projet d’extension dont les effets vont bien au-delà de ceux que nous avons identifiés, est un excellent cas d’école de la mise en application de la théorie des contraintes, qui se focalise sur les moyens d’augmenter la performance d’un système en en maximisant le débit (ici, le nombre d’avions et de passagers). L’identification des contraintes constituant des goulots d’étranglement du système (l’unique piste de décollage et d’atterrissage) et la mise en place de mécanismes pour augmenter le flux au niveau de ces contraintes sont les tenants de base de cette théorie. Les mécanismes mis en évidence dans le cas de l’aéroport FHB sont :
- L’utilisation de la contrainte à sa capacité optimale (en faisant atterrir de plus gros porteurs) ;
- La constitution d’un stock en amont de la contrainte pour qu’elle ne soit jamais inutilisée (ici, plusieurs avions prêts à décoller) ;
- La non-utilisation de la contrainte à des tâches que d’autres ressources peuvent exécuter (dans ce cas, le trajet pour rejoindre l’extrémité nord exécuté sur le nouveau taxiway).
Autre application
Mais il n’y a pas que la gestion de notre aérogare qui se prête à la mise en œuvre de la théorie des contraintes. Il m’arrive assez souvent comme consommateur d’identifier dans nos entreprises d’excellents cas d’application de la théorie des contraintes et autant d’opportunités pour elles d’améliorer leurs indicateurs de revenu et de profitabilité. Prenons l’exemple d’une clinique que je fréquente, qui a un service scanner ne désemplissant jamais. Pour passer un scanner qui coûte en moyenne 80.000 F CFA, le patient appelé entre dans la salle où se trouve l’appareil. Pendant 5 minutes en moyenne il s’y déshabille et revêt sa blouse. Il passe ensuite le scanner pendant les 20 minutes suivantes. A la fin, il retire sa blouse et se rhabille pendant 5 autres minutes. Un scanner prend ainsi 30 minutes par patient, ce qui aboutit à 2 scanners réalisés en une heure.
L’application des principes 2 et 3 énoncés plus haut, reviendrait pour cette clinique à se poser les questions suivantes :
- Comment faire en sorte d’avoir toujours au moins un patient devant la salle, prêt à passer un scanner ?
- Comment réaliser les étapes de déshabillage et de rhabillage ailleurs que dans la salle de scanner ?
Il suffirait par exemple à cette clinique d’aménager 2 petites pièces attenantes à la salle de scanner, avec chacune 2 portes : l’une donnant sur l’intérieur de la salle de scanner, et l’autre sur l’un des couloirs de l’hôpital. Le premier patient entrerait dans la pièce A par la seconde porte, s’y déshabillerait, et attendrait que la porte donnant sur la salle de scanner s’ouvre, pour entrer y subir l’examen médical. Une fois l’examen terminé, il rejoindrait à nouveau la pièce A pour se rhabiller. A ce moment-là, le patient attendant dans la pièce B rejoindrait la salle de scanner. Ainsi la salle de scanner n’abriterait un patient donné que pendant 20 minutes, ce qui permettra l’accomplissement de 3 scanners par heure.
A l’échelle d’une journée de 10 heures, cela équivaudrait à 10 scanners supplémentaires, soit un chiffre d’affaires additionnel de 800.000 F CFA/jour et de plus de 16 millions de F CFA par mois, ceci pour des travaux d’aménagement d’un coût marginal.
En conclusion
La théorie des contraintes n’a ainsi rien de théorique. Elle est d’une logique abordable pour toute PME, quel qu’en soit le secteur d’activité. Outil d’augmentation substantiel de la productivité, elle a de vastes domaines d’application aussi bien dans nos entreprises que dans notre vie de tous les jours. Les PME gagneraient toutes à l’étudier et à s’y mettre résolument.